Rapport à une Académie

de Franz Kafka
Traduction de l'allemand Bernard Lortholary

Peter Yves Jenny
Petra Valérie Liengme
Création musicale et musicien sur scène Mathias Demoulin

Mise en scène Denise Carla Haas
Création lumière Hans Meier
Costumes Tania D'Ambrogio
Scénographie Adrien Moretti et Denise Carla Haas
Construction du décor Mario Medana
Peinture Christophe Demière et Emilie Rudaz
Regie et technique Luc Job
Collaboration dramaturgique Elias Schafroth
Collaboration artistique Corinne Martin
Stagiaire Marina Porobic
Administration et communication Line Lanthemann
Conception graphique et programme « a plus trois » éditions (Jonas Marguet, Corinne Martin & Elias Schafroth) 
Photo Maurice Haas

Production Le Théâtre L., le Théâtre du Pommier et Pour-cent culturel Migros
PRAIRIE Modèle de coproduction du Pour-cent culturel Migros en faveur de compagnies théâtrales innovantes suisses

Du 01.04.2008 au 20.04.2008 aux Pulloff Théâtres, Lausanne
Du 08.05.2008 au 10.05.2008
au Théâtre du Pommier, Neuchâtel
Du 23.052008 au 25.05.2008
au Théâtre du Moulin-Neuf, Aigle
Du 30.05.2008 au 31.05.2008
au Petithéâtre, Sion

Evénements
Un bestiaire littéraire
Lecture et performance
par Le Théâtre L. dans le cadre de l'exposition Comme des bêtes. Ours, chat, cochon et Cie au Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne
Les 24.04.2008 et 22.06.2008 à 15 heures, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, durée 45 minutes, entrée gratuite, www.mcba.ch

Les animaux de Kafka
Table ronde avec Bernard Fibicher, directeur du Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, Peter Utz, professeur de littérature allemande à l'Université de Lausanne et Le Théâtre L.
Le 12.04.2008, après la représentation, Pulloff Théâtres, Lausanne, entrée gratuite, apéritif offert

Avec le soutien de
La Loterie Romande, Lausanne
Pour-cent culturel Migros
Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture
Ville de Lausanne
Ernst Göhner Stiftung Zug
Schweizerische Interpreten Gesellschaft


Presse

Le Courrier, 03.04.2008
Bêtes comme des humains
Samuel Schellenberg

LAUSANNE
Le Musée des beaux-arts fait ouche avec une expo qui passe du coq à l'âne et montre l'homme qui a vu l'ours. Parfois vache! Zoo ou galerie des glaces? Avec "Comme des bêtes", le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (MCBA) fait davantage qu'exposer quelques 200 représentations de neuf animaux emblématiques: il tend un miroir aux visiteurs, tour à tour ravis, troublés, dégoûtés ou excités à l'heure de se reconnaître dans ces multiples ours, cochons, chats, cerfs, vaches, ânes, papillons, mouches et poules. "Ce n'est pas une exposition thématique: nous présentons le rapport humain-animal sans message ni idéologie", explique Bernard Fibicher, curateur de "Comme des bêtes" - et directeur du MCBA. Le Haut-Valaisan - dont c'est la première proposition à Lausanne - ajoute que l'exposition est "à entrés multiples" et qu'elle est susceptible de plaire tant aux amateurs d'art que d'animaux.

Ennuyeux, les chiens
Le choix des neuf bêtes a fait l'objet d'une sélection subjective: ces animaux ont certes en commun leur lien avec l'humain, mais la liste aurait pu être largement plus longue. Le cheval, par exemple, a été écarté - "Ce n'est guère plus qu'un attribut de l'aristocratie", estime Bernard Fibicher. Pas non plus de chiens à Rumine - "Il est fidèle mais le chat infiniment plus complexe, notamment au niveau symbolique..." Quant au choix des œuvres, il était cadré par une volonté d'inclure de nombreux médiums - peinture, vidéo, sculpture, installation... - et de multiplier les possibilités de rapprochements entre humains et animaux. Et puis, tout n'a pas pu être obtenu: inutile de chercher les demi-vaches dans le formol de Damien Hirts; ou ce portrait d'un moine chartreux du peintre Petrus Christus (XVie siècle), avec sa grosse mouche au premier plan - impossible d'obtenir le tableau, propriété du Met de New York. Parmi la centaine d'artistes exposés, on trouve toutefois Rembrandt, Balthus, Hodler, Andy Warhol ou les contemporains Ana Mendieta, Carolee Schneemann, Paul McCarthy et Wim Delvoye. Ce dernier est venu avec ses peaux de cochon tatouées; alors que McCarthy a conçu un porc synthétique grandeur nature, qui pulse, pète ou remue les oreilles quand on s'en approche (Mechanical Pig, 2005).

Oeuvres sexuées
Côté cerfs, c'est la chasse qui sert de cadre - extraordinaire photo d'une proie couchée sur un socle, par Eric Poitevin (Sans titre, 2006). Plus loin, les ours de Valentin Carron ou Mark Wallinger se démènent dans un espace inversement proportionné à leur taille; alors que les vaches broutent aux sons hawaïens de Tropical Corner (2007) d'Alexandre Joy - une grande installation avec un bovidé empaillé qui tourne en rond. Pas loin, la salle des chats rappelle que l'art est souvent sexiste: lorsqu'ils sont avec des hommes, les félidés font figure de muse et soulignent l'intelligence de monsieur (Balthus, Biéler); avec les femmes, au contraire, on joue à qui sera le plus paresseux (Vallotton). Et puis, une vidéo du Chinois Xu Zhen, qui montre un homme frappant au sol un cadavre de chat, n'a pas manqué d'indigner un confrère orangé: le journal a vainement tenté d'en faire un scandale (comme pour le bébé-mouette de l'expo "Mahjong", d'ailleurs curatée par le même Fibicher). Reste que la cruauté est humaine et qu'elle se doit d'être évoquée si l'on parle des rapports entre homme et animal. Plus loin, signalons encore deux vidéos d'Elodie Pong, où une femme fait papillonner son corps; un concours à qui mangera le plus de grains, entre un coq et une poule, par Yang Zhenzhong - c'est la poule qui gagne; ou cette performance d'Ana Mendieta avec sang et plumes de poulet. Et le mot de la fin revient à Yoko Ono, qui propose une nouvelle version de sa vidéo Fly (1970): sur trois moniteurs, le corps nu de l'artiste est survolé et parcouru par des mouches. Des bestioles à respecter, d'ailleurs: comme le rappelle le catalogue de l'expo, leur disparition complète sonnerait le glas de notre civilisation, rien de moins.
Musée cantonal des beaux-arts, Palais de Rumine, 6 pl. de la Riponne, Lausanne, jusqu'au 22 juin, ma-me 11h-18h, je 11h-20h, ve-di 11h-17h.
En parallèle, toujours à Lausanne, le Zinema propose Le Bonheur d'Emma, de Sven Taddicken (2006): une histoire d'amour entre une éleveuse de cochons et un homme en cavale.
Quant au Pulloff, il présente Rapport à une Académie, d'après Kafka, par Le Théâtre L. Capturé, un singe devient un être humain.
Enfin, le très animal quatuor genevois What's Wrong With Us donne un concert samedi soir au Bourg (22h30). 

24 heures 04.04.2008
L'humanité mise en cages
Théâtre
Denise Carla Haas présente, au Pulloff, une adaptation de Rapport à une académie, de Kafka, avec une belle et imposante créativité.

Critique.
Belle scénographie entre cages et appartements.

Photo: Maurice Haas
Anne-Sylvie Sprenger
Plus qu'à une pièce de théâtre, c'est à une expérience que la metteur en scène Denise Carla Haas invite les spectateurs du Pulloff. Sur l'affiche, il s'agit de l'adaptation du texte de Franz Kafka, Rapport à une académie. Sur scène, il est surtout question, pour le spectateur, d'observation. Tel un visiteur dans un zoo assez particulier... Denise Carla Haas met en effet ses comédiens (Yves Jenny et Valérie Liengme) littéralement en cages. Dans une très belle scénographie bifrontale, deux cubes ouverts campent le décor. Dans chacun de ces espaces agencés comme un mini-appartement, un des comédiens, qui vit sa vie (domestique, pour l'essentiel) comme si de rien n'était. Elle s'épile, il se rase. Il s'habille, elle se douche... Le spectateur peut dès lors se mouvoir comme il l'entend autour de ces deux cages sans barreaux, et observer le comportement de ces drôles d'humains. On imagine le rire et l'enthousiasme de Kafka s'il avait été présent ce soir de première, tant la sensation est étrange. Et éclaire d'une belle inventivité ce texte de l'auteur tchèque, qui se présente comme le pendant thématique de sa célèbre Métamorphose, à savoir ici la transformation d'un singe en être humain.

Singe devenu humain
L'action se situe dans un deuxième temps, alors que ces deux singes-devenus-hommes se préparent à discourir devant l'académie au sujet de leur évolution. Ces moments intimes, comme arrachés à la sauvette, fascinent d'une étrange manière. Le texte, quant à lui, passe (à tort ou à raison) véritablement au second plan, tant la performance des comédiens est intéressante on regrette même de ne pas voir plus souvent la rutilante Valérie Liengme. A noter encore, les très beaux jeux sonores qui donnent densité et rondeur à l'ensemble.
Après Liberté à Brême et Le Tueur, Denise Carla Haas démontre une imposante créativité.
Une artiste à suivre, assurément.

Pulloff, Lausanne.Jusqu'au 20 avril. Durée: 1 h 10.Rés.: 021 311 44 22. 24 Heures © Edipresse Publications SA 

Dare-dare, 04.04.2008
Comme des bêtes
Ou comment un singe devient humain dans "Rapport à une Académie" .

Entre beaux-arts et théâtre, comment les animaux deviennent des oeuvres d'art. Présentation de l'exposition "Comme des bêtes" et de la pièce "Rapport à une Académie", toutes deux visibles à Lausanne.
Au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, nous découvrons des toiles, dessins, photos, sculptures et vidéos qui nous parlent des bêtes, certes, mais surtout de ce que nous leur faisons dire, du rapport que nous tissons avec elle. Chaque animal dispose d'une salle entière, et nous balayons du regard, dans le désordre, des oeuvres créées au XVIIe siècle, au XIXe, ou encore aujourd'hui. Sous nos latitudes ou ailleurs dans le monde, en Inde ou en Chine. A chaque fois et pour chaque animal, le propos varie, les enjeux sont différents. Le cochon est tout à la fois: cousin de l'homme à la peau rose, volupté, mais aussi crasse, violence, bassesse, puis, tout simplement, bon à manger.
La mouche est merveilleuse et miniature, ridicule et fragile, mais aussi inquiétante, insupportable, étrange avec ses yeux qui envisagent le monde tout autrement.
Ours, cerf, chat, papillon, âne ou poule, tous déclenchent en nous des réactions - empathie, antipathie, kitsch, tendresse, répulsion - que les artistes contribuent à souligner, à exacerber.
Bernard Fibicher, directeur du MCBA et commissaire de l'exposition vient nous présenter ce projet et ses enjeux.
A ses côtés, les membres du Théâtre L., Yves Jenny, Valérie Liengme et le musicien Mathias Demoulin, nous livrent en direct quelques extraits de leur bestiaire littéraire: Nicolas Bouvier, Lewis Caroll et Franz Kafka.
Kafka, dont le Théâtre L. présente Rapport à une Académie, l’histoire d’un singe capturé en pleine nature qui s’adapte de plus en plus à la vie et aux habitudes humaines
L'exposition Comme des bêtes, ours, chat, cochon et Cie, est à découvrir jusqu’au 22 juin 2008 au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne.
La pièce Rapport à une Académie est à voir au Pulloff Théâtre de Lausanne jusqu'au 20 avril 2008.
 
Edelweiss, Avril/Mai 2008
Chita forever

Marie-Pierre Genecand
Le singe a la cote. Tandis que le Museum d'histoire naturelle de Neuchâtel abrite une passionnante expo sur le cousinage saisissant entre le singe et l'homme (Le propre du singe, jusqu'au 26 octobre), Le Théâtre L. montre Rapport à une académie, de Kafka. Le récit d'un homme né chimpanzé, qui, une fois capturé, "a appris le jeu de la société". Un questionnement sur notre condition humaine que l'auteur de la Métamorphose inscrit dans une étrangeté qui sera sans doute exploitée par la metteure en scène Denise Carla Haas. A commencer par le dédoublement: Peter, le narrateur, sera accompagné de Petra, afin d'orchestrer "un dialogue des sexes et leurs modes de pensées et d'actions respectifs": Peaux de bananes assurées. 

24 heures Région La Côte, 02.05.2008
Quand le nu prend la parole
Corinne Jacquiéry
THÉÂTRE
Le plus vieux costume du monde s'est beaucoup porté dans plusieurs créations théâtrales récentes. A Genève, la tragédie de Phèdre, qui se joue entièrement dénudée, en est l'ultime manifestation. Provocation ou nécessité, la question peut se poser.
Bl afards, dans la lumière du jour finissant, les corps nus des cinq comédiens engagés dans cette représentation de Phèdre se dévoilent crûment: rougeurs, plissements, taches bleutées, aucun défaut de peau ne peut échapper à l'oeil du spectateur. Voyeur obligé, il est invité à tourner autour de la scène érigée comme un ring au milieu de la salle. Parfois, un acteur en descend, se mêle au public. Cette promiscuité avec la nudité suscite diverses réactions: les uns reculent, les autres observent sans bouger, certains avancent...
Sollicité auditivement par le flux éructé des alexandrins de Racine et par le bruit des fortes claques que se donnent les interprètes, le spectateur est bousculé, perturbé dans sa relation à la représentation théâtrale. En montrant ce qui se dit, les corps des acteurs participent à donner une nouvelle dimension au texte classique, creusant des failles dans la métrique impeccable des alexandrins. Les comédiens d'âge mûr récitent nus comme pour montrer que les mots, à force d'extraction, ont usé les corps.
«Le corps est le point de départ de la production textuelle de Phèdre», souligne Claudia Bosse, metteuse en scène d'origine allemande. Qualifiée de radicale par ceux-là mêmes qui l'accueillent régulièrement au Théâtre du Grütli à Genève, elle est coutumière d'expériences originales en rupture avec le théâtre traditionnel. «Le corps m'apparaît ici comme le lieu d'émergence de la tragédie, comme le vecteur de la parole dramatique ramenée à la lumière. La passion, contrainte par les conventions sociales liées à la toute-puissance d'un Etat ou d'un roi - en l'occurrence Louis XIV -, ne peut plus se cacher sous l'habit. »

Un autre espace de perception
La nudité du spectacle de Phèdre n'est pas choquante, même si elle semble un peu provocante quand elle détourne les conventions. Ainsi Phèdre est jouée par un homme, Frédéric Leidgens, qui prend des poses effarouchées en cachant son sexe. En jouant nus, les acteurs proposent une ouverture vers un autre espace de perception et confèrent aux corps vieillis une émouvante dignité. «Le nu est mon costume, affirme Armand Deladoëy, 60 ans, qui interprète Thésée. C'est une nécessité de la dramaturgie, un outil de mise à nu qui pousse à l'authenticité. Je n'ai aucun problème avec ça. Je crois que chacun y pose son propre regard avec tout ce qui le constitue culturellement. »
En montant récemment Hiroshima mon amour, de Marguerite Duras, au Théâtre 2. 21 de Lausanne, Giorgio Brasey a lui aussi mis en scène des comédiens dénudés, mais il se défend de suivre l'air du temps. «Je n'ai pas éprouvé le besoin du nu. C'était la situation, inspirée du texte, qui l'impliquait. » Les deux acteurs (Cathy Sottas, Xavier Fernandez-Cavada) apparaissent nus à l'issue d'une nuit d'amour, lovés dans une sorte alcôve virtuelle. «En cours de travail, cette nudité a pris un sens insoupçonné, mettant en évidence la fragilité des corps et la beauté de la relation amoureuse. Ce n'est pas une nudité qui se montre, c'est une nudité qui est montrée. »

Libérer le regard
André Coutin, auteur d'Histoire d'Ô Calcutta, le roman des années nues (Ed. Balland, 1970), affirmait que, «dans notre société, le corps humain peut être métaphore politique ou argument de vente, mais il n'a pas le droit d'avoir son langage propre et d'être lui-même un moyen d'expression». Aujourd'hui cependant, la perception a changé et le corps peut se définir comme sa propre voix, notamment dans le domaine de la danse.
Courants dans le théâtre primitif antique, les spectacles où les acteurs étaient nus ont été interdits par l'empereur chrétien Justinien en 500 ap. J. -C. Après de longues années de tabou, les années septante ont libéré le regard. Les comédiens peuvent jouer nus sans être voués aux enfers. En revanche, il y a différents types de nudité à ne pas confondre: le nu anatomique, le nu érotique, le nu obscène, le nu tendre, le nu violent, etc. Et au théâtre, comme dans la danse, la nudité est un matériau dont la mise en scène fait varier les utilisations et le sens.

Cie Linga: une danse qui se dévoile
Le corps est à la danse ce que le texte est au théâtre. Sa mise à nu était donc inévitable. Après s'être débarrassée des tutus et autres fanfreluches, la chorégraphie contemporaine a ôté son dernier rempart: le justaucorps. A la fin des années nonante, le nu a ainsi envahi la danse au point d'en faire perdre le sens. Sous-érotisé par rapport à ceux libérés des années huitante, les corps se prêtaient davantage à la dissection anatomique qu'à être des vecteurs d'émotion.
Retour à la densité
Aujourd'hui, la tendance ne s'est pas radicalement inversée, mais l'apparition de la nudité dans une chorégraphie a repris une certaine densité et de la profondeur. Pour Katarzyna Gdaniec, de la Compagnie Linga, installée à Pully, le nu n'est utile que lorsqu'il est l'aboutissement d'une longue démarche de création. «Je ne danserais pas ainsi sans raison. D'ailleurs, on peut être nu uniquement par le mouvement et par la puissance de l'interprétation. » Mais, dans son duo Mucus and Angel s créé avec la Coréenne Eun-me Ahn et Marco Cantalupo, son compagnon de vie et de création, elle se dévoile presque entièrement. «Nous l'avons fait parce qu'il s'agissait de parler de la femme dans tous ses états, de la jeune fille à la mère. Comme le sang que nous faisons couler sur le corps, les seins sont une part essentielle de la féminité. Je trouvais que c'était beau et émouvant de les dénuder à un moment charnière de la pièce. »

Valérie Liengme: «Le nu impose la sincérité»
La comédienne Valérie Liengme aime le risque théâtral. Mise en scène par Denise Carla Haas dans une adaptation de Rapport à une académie de Kafka, elle se retrouve en cage et nue. «C'est tellement cohérent par rapport au travail entrepris sur ce texte», explique-t-elle. A l'inverse de sa célèbre Métamorphose , où un homme se transforme en cafard, l'écrivain narre ici la transformation d'un singe en être humain. Deux personnages, incarnés par Valérie Liengme et Yves Jenny, illustrent le processus en exposant leur intimité. «C'est une nudité très naturelle, presque animale. D'ailleurs, le nu n'est pas ce qu'il y a de plus difficile à porter. Ce qui est difficile, c'est de bien jouer! affirme, rieuse, Valérie Liengme. Quand on est à poil - c'est le cas de le dire ici - il y a quelque chose de magique, de basique, qui inspire le jeu. » En se voyant sur les affiches où elle pose nue, attablée en face de son partenaire, elle s'est à peine reconnue, à l'instar de son père qui, en la voyant, n'a pas fait le lien avec sa fille.
Pour la metteuse en scène Denise Carla Haas, il n'y a aucune espèce de provocation dans le fait de montrer des acteurs nus. «La nudité est toujours troublante, mais la manière naturelle et primitive dans laquelle je l'ai envisagée montre qu'elle a du sens. De toute manière, ce qu'il y a de plus intéressant, c'est la performance d'écoute des comédiens qui se passent le texte sans jamais savoir qui va le dire et à quel moment!»


Introduction 
Le texte parle de la perte de l’identité. Et avec la perte de l’identité, de la quête d’une identité nouvelle, inconnue. Rapport à une Académie de Franz Kafka (1883-1924) est l’histoire d’un singe capturé en pleine nature qui s’adapte de plus en plus à la vie et aux habitudes humaines. Une fois qu’il maîtrise parfaitement le comportement humain, il se rend compte qu’il a perdu l’innocence de la bête, le rêve animal, l’univers naturel. Il ne peut désormais plus revenir, retourner là d’où il vient. La perte de l’identité animale et l’appropriation d’une identité humaine sont une réflexion sur le temps impossible à faire revenir.
La perte de l’identité est actuellement plus que jamais une thématique quotidienne. Il semble que plus les moyens de communication sont divers, multipliés et efficaces, plus l’être humain est contraint de se battre avec la solitude. Plus il habite dans des grandes villes, près de milliers de gens, plus il se rend compte qu’il est et reste inconnu. Dans Le Tueur, notre projet précédent, l'identité se cherche quand Fritz Haarmann essaie de savoir ce qu’il fait exactement durant les passages à l’acte que sont ses meurtres, contraint à parler par le psychiatre Schultze. Ici, le singe Peter-le-rouge parle de la perte de l’identité du singe grâce à l’acquisition de l’identité humaine. Autrement il ne pourrait pas en parler. Mais déjà le fait de maîtriser le langage humain montre que Peter formule ses sentiments de singe peut-être comme un être humain et alors tout le discours est faussé. Cette donnée est particulièrement intéressante, car elle permet dans la réalisation scénique de trouver un discours non langagier qui exprimerait une nostalgie de la nature et de l’état de singe impossible à fixer dans la formulation parce que les animaux n’ont pas nos mots. Peter est indubitablement habité par les deux identités, mais la première se perd au prix de l’acquisition de la deuxième. Kafka thématise les difficultés de l’assimilation, de l’éducation et de l’identité. « Où que j’aille, j’aurai toujours la nostalgie de ma patrie que j’ai quitté(e), poussé(e) par la soif de découvrir des terres nouvelles et contraint(e) d’aller de l’avant, incapable de retourner et si je retournais, incapable de retrouver la patrie comme je m’en souviens. »
Pour ce texte, très rarement monté au théâtre, il sera nécessaire d’écrire une adaptation scénique. Toutefois, le fait qu’il soit rédigé à la première personne et que l’auteur ait déjà créé la parole ‘directe’ de Peter-le-rouge facilite énormément l’entreprise. Ici, l’enjeu à résoudre se situe scéniquement plutôt dans la représentation de l’ancien et du nouveau singe. Comment le récit commandé par l’Académie fait jaillir le souvenir de la métamorphose du singe en homme, quête passionnelle entre ce qui a été et ce qui est actuellement.
Le Théâtre L. s’est déjà plongé avec succès dans l’univers de Kafka avec Un Artiste de la Faim et Un Artiste de la Faim/No 2 de Franz Kafka. Ces deux adaptations scéniques sont à disposition en DVD sur demande auprès du Théâtre L.

Kafka et les animaux 
De nombreux récits de Kafka mettent en scène des animaux. La plupart sont des histoires de métamorphoses qui évitent toute métaphore.
“Un matin au sortir de rêves agités, Gregor Samsa s’éveilla dans son lit transformé en un monstrueux insecte.” Le début de La Métamorphose est une donnée fantastique, qui va être l'objet d'un développement épuré et rigoureux, strictement réaliste. Le Rapport à une Académie reprend le thème de La Métamorphose, mais à l'envers: ici un animal devient un homme.
L’animal ou le monstre chez Kafka n’est pas effrayant. Il est parfois grotesque, un peu ridicule. Il est surtout révélateur d’un monde sensible imparfait, marqué par la contingence et l’absurdité. Kafka, à travers ses personnages-animaux, construit une dimension poétique et comique de l’absurdité.
Il fait parler les animaux (souris, singes, chiens, taupes,...), mais son anthropomorphisme est subtil: au lieu de comparer les hommes à des animaux, il compare les animaux à des hommes. Comparer les hommes à des animaux, c’est d’une certaine façon nier la conscience humaine. Mais l’inverse, comparer les animaux à des hommes, c’est montrer les limites de l’esprit humain, dévoiler le mensonge de la toute-puissance de la conscience et interroger par un effet de miroir l’identité humaine.
Le Terrier (1924) parle d’une notion fondamentale chez Kafka, l’impasse. Une taupe a aménagé un terrier et vit dans l’obsession et la peur de l’autre. Point d’autres occupations que d’agencer, de creuser les galeries dans une stratégie de survie. Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, la seule péripétie étant l’apparition d’un bruit souterrain, qui ne sera ni identifié ni localisé. La menace est inconnue, indécidable. Et c’est cela même qui génère la terreur: l’absence de repères. L’animal doute aussi de l’agencement de son refuge. Il peut fermer l’accès du terrier, mais court le risque de ne plus pouvoir fuir, de s’y enfermer lui-même. Ouverture ou fermeture? Et faut-il être dedans ou dehors pour parer à l’attaque d’un ennemi potentiel? Le tourniquet logique devient infernal.
L’animal n’est incapable de s’engager dans aucune des issues. Toutes les positions et solutions s’avérant réversibles, le personnage-animal se retrouve dans une impasse totale, sans avenir. La monstruosité de sa situation: être mortel, sans histoire possible. Pour le singe du Rapport à une Académie, il y a une histoire. Face à l'impasse que représentait sa cage de bête capturée, il n'y avait qu'une issue: devenir un homme.
Kafka enquête sur l’humanité et observe l’impasse. Il y a une certaine parenté avec les fables de la Fontaine, mais Kafka ne fournit pas la morale de ses histoires.
Ces personnages nous renvoient à nous-mêmes, qui nous regardons dans ce miroir tendu.  

Le langage de Peter-le-Rouge
Officiellement, Peter-le-rouge parle pour répandre des connaissances. C'est ce qu'il prétend face aux messieurs de l'Académie qui l'invitent à rendre compte de sa vie antérieure de singe et de sa transformation en être humain. L'ancien singe semble parfaitement répondre à cette demande. Il fait preuve d'une maîtrise virtuose du langage, qu'elle soit linguistique ou socioculturelle. La précision de sa description pourrait enfin élucider le mystère de la différence entre l'homme et l'animal. Et le style précieux de Peter n'est certainement pas sans plaire aux académiciens. L'audience est gagnée.
Mais le langage de Peter est un outil de communication qui n'appartient qu'aux humains. Le moyen pour reconstituer le lien entre l'homme et l'animal constitue lui-même la rupture entre les deux. "Hello!", c'est le premier mot que Peter prononce devant un public composé de marins - après être devenu humain. Avant, il a dû apprendre à boire. Il vainc son dégoût de l'alcool en imitant un matelot. Dans le passage flou entre la reproduction mécanique des gestes et leur exécution lucide, l'animal acquiert la conscience humaine. Peter se dit alors artiste. Le singe est devenu un comédien et salue son public: Hello! Le spectacle qui se donne désormais, c'est celui d'un homme qui représente un singe devenu homme. L'ancienne vérité de singe, dit Peter, est perdue. Mais le tableau qu'il en fait se situe dans la bonne direction, ajoute-t-il.
Le langage apparaît alors comme le signe d'intégration dans le monde humain. Peter y tient beaucoup. Il y va de son issue, de sa chance d'échapper à la cage dans laquelle les chasseurs enferment les animaux. Mais cette intégration ne se fait pas sans violence. Le nom de Peter-le-rouge en fait partie. C'est à la grande blessure rouge laissée par une balle qu'il le doit. Si c'est grâce à son nom que Peter-le-rouge est reconnu dans la société, ce nom est aussi le signe d'une capture brutale et constitue en quelque sorte l'aboutissement de la traque.
Le langage n'est-il finalement qu'une autre cage? À l'insu des académiciens, Peter semble avoir choisi la fuite en avant. Sa maîtrise des convections langagières est telle qu'il parvient à glisser une ironie mordante dans son rapport. Et son jeu sur le sens propre des expressions imagées lui permet de trouver des issues non pas en dehors, mais à l'intérieur de l'univers du langage: « Les chasseurs ont une excellente expression pour parler du gibier qui s'esquive dans les broussailles, ils disent qu'il donne le change; c'est ce que j'ai fait, j'ai donné le change ». Peter s'est échappé en devenant un être humain. Et cet humain continue à s'échapper en parlant de lui-même comme on parle d'un animal.  

Les animaux vus par les sciences humaines
« Semblables et différents de nous à la fois, les animaux sont le seul terme de comparaison que nous offre la nature pour nous permettre de nous identifier. »
François Sigaut, 1994

Depuis longtemps, les animaux ont servi de miroirs, plus ou moins embués, à travers lesquels l'homme tentait de se retrouver.
La science a utilisé le détour par les primates qui permet une mise à distance de l'étude de la psychologie et du comportement humain afin de l'étudier plus ‘objectivement’. Aristote déjà, s'intéresse aux diverses manifestations de l'intelligence pratique des animaux telles qu'il les a observées dans leur vie quotidienne.
C'est au 17e siècle qu'une comparaison explicite entre l'homme et l'animal est proposée par Descartes. Selon lui, l'animal fonctionne comme une machine mouvante, il n'agit pas par connaissance mais seulement par la disposition de ses organes.
Au 19e siècle, les théories de Charles Darwin bouleversent la psychologie de l'homme et de l'animal. Il affirme que la différence entre les facultés mentales de l'homme et celle des mammifères supérieurs n'est qu'une affaire de degré. Il n'y aurait donc pas de différence fondamentale entre les capacités mentales des mammifères les plus évolués et celles de l'homme.
À la fin du 19e siècle, des chercheurs en s'appuyant sur cette base théorique construisent une échelle de la connaissance, qui englobe à la fois la construction des barrages chez les castors et l'étude de l'aptitude au mensonge chez le chien.
Puis le béhaviorisme prône une approche qui impose au chercheur de se limiter à ce qui est directement observable, c'est-à-dire le comportement, et de se contenter de formuler des lois à partir des observations, en écartant toutes ces ‘fictions’ que sont les idées et les sentiments. La démarche béhavioriste se préoccupe d'étudier les lois d'associations entre un stimulus (un événement se produisant dans l'environnement) et une réponse de l'animal. Pour sa part, la démarche cognitive fait appel à des concepts comme celui de ‘représentations internes’ qui présuppose que les stimuli de l'environnement fassent l'objet de traitements internes. Pour ce courant qui s'intéresse aux opérations les plus générales de la pensée, l'essentiel se passe à l'interface du stimulus et de la réponse. Les psychologues de la cognition parleront de représentation dès qu'un organisme est capable de produire une réponse en l'absence d'un stimulus extérieur. Dans une telle situation, l'organisme est susceptible de se représenter une ou plusieurs propriétés d'une expérience antérieure. Pour conclure, toutes les démarches se heurtent à la même pierre d'achoppement: l'impossibilité de partager un code de communication identique. Et en imaginant que les animaux puissent parler, ne faut-il pas accepter, comme le disait Wittgenstein, que « si un lion pouvait parler, nous ne pourrions pas le comprendre? » Mais l'homme, fasciné, continue à construire des cages-labyrinthes complexes pour les rats, des mécanismes aux boutons multicolores pour les singes. Et l'on ne sait toujours pas ce qu'ils en pensent, de même qu'il reste impossible d'envisager ce que ça fait d'être une chauve-souris. Néanmoins des expériences ont montré que certains primates bluffaient leur expérimentateur ou se moquaient de lui, pour des raisons qui resteront leurs.  

Le langage et les gestes chez les singes

De nombreuses expériences ont été menées pour trouver des modes de communication possibles avec les primates. Certaines expériences conçues avec des lexigrammes fonctionnant un peu comme les idéogrammes dans l’écriture chinoise tendent à prouver qu’ils peuvent maîtriser certaines notions de base syntaxiques et logiques. Kanzi, un élève bonobo très doué, fait par exemple la différence entre: ‘faire que le chien morde le serpent’ et ‘faire que le serpent morde le chien’.
Néanmoins, en analysant la fonction des systèmes de langage apparaît une différence majeure entre les singes et les hommes. Chez les premiers, le contexte d’utilisation est réduit à une fonction essentiellement injonctive ou impérative: les signaux sont utilisés dans un contexte de demandes. Chez l’homme, en plus de la modalité impérative, les mots sont aussi et surtout dotés d’une fonction déclarative qui a pour objet d’apporter une information sur le monde. La communication humaine fonctionne pour elle-même, alors que le singe communique pour obtenir un résultat tangible à propos d’un objet ou d’une action.
Une autre particularité est que, là où les animaux ne peuvent communiquer qu’à propos de contextes qui ont une signification biologique pour eux (partenaires, nourritures, prédateurs, etc.), l’homme peut quant à lui communiquer à propos de n’importe quoi, y compris à propos d’entités qui n’existent pas ; les contes de fée ou la science-fiction, et plus généralement toute la littérature.
Une autre discontinuité se situe au niveau du ‘langage des signes gestuels’ et notamment dans la manière d’utiliser les objets et les outils. Les pongidés utilisent et façonnent des instruments: tels les chimpanzés qui taillent des branches pour ‘pêcher’ des termites, ou qui cassent des noix à l'aide d'une pierre servant de ‘marteau’ et d'une souche ou d'une autre pierre qui sert ‘d'enclume’. Il est toutefois remarquable que ces instruments restent liés à une seule fonction immédiate, l'alimentation, et ne servent pas à effectuer plusieurs tâches. Ainsi, après avoir pêché ses termites, le chimpanzé ne se sert pas de la branche taillée pour titiller un autre animal non comestible, pour se curer les dents ou se gratter l'oreille. De même, la pierre qui lui a servi pour casser ses noix n'est pas utilisée pour la fabrication d'un autre marteau plus perfectionné, ou pour confectionner quelque ornement qui n'aurait pour fonction que sa valeur esthétique. Il ne s'amuse pas non plus à la lancer dans une mare pour éclabousser ses congénères. Contrairement à celui de l'homme, l'outil du singe n'est pas inscrit dans la durée.
Chez l'homme, l'objet est également le support d'activités qui vont au-delà de son usage instrumental immédiat. Par exemple, un enfant est très tôt capable de jouer avec une banane en faisant comme s'il s'agissait d'un téléphone, ou d'utiliser un ours en peluche comme s'il s'agissait d'un compagnon. Le singe, lui, n'utilise pas d'objets transitionnels. Le répertoire symbolique d'un chimpanzé devant une banane reste généralement limité à l'activité de la manger s'il a faim ou de l'ignorer s'il est repu.  

La construction du corps
« Si je vais chez un boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l’animal. »
Francis Bacon

Kafka décrit les étages de la transformation du singe jusqu'à un homme à l'éducation d'un européen moyen. La première phase est un processus d'imitation. Le singe dans sa cage, sur le pont du bateau qui le ramène en Europe, copie les gestes des marins. Comme eux, il fume la pipe, crache, boit du schnaps. Le point de rupture entre son ancienne et sa future identité se concentre en un mot: « Hello ». Ayant acquis la première base du langage, Peter se soumettra à un apprentissage minutieux des coutumes et habitudes de l'homme. Scéniquement, il ne s'agit pas d'illustrer le texte en jouant les gestes de l'apprentissage du singe. Mais partir de cette question plus large: quels sont les gestes, inconscients ou non, répétés chaque jour, qui constituent à la fois l'identité et le masque de l'homme en société? L'homme est lui aussi fréquemment enfermé dans un contexte de stimuli, auxquels il répond de manière inconsciente. Comment y répond-il? Montrer comment un corps se construit, ce qu'il cache, ce qu'il montre, pour sortir dans la rue, vaquer à ses occupations quotidiennes. Chorégraphier son rapport aux objets les plus banals mais aussi indispensables à sa survie en société que la nourriture. Mettre en évidence les habitudes les plus minimes, considérées comme insignifiantes: ce sont elles qui façonnent une part de notre identité la plus profonde. Nous voulons creuser la question de l’écart, de la bonne distance, qui permet de voir et d’entendre les détails sur lesquels on ne s'interroge plus. Montrer le problème de l’homme aveugle par le détour de l’animal-miroir. L’animal chez Kafka nous confronte à une part indicible, invisible de l’homme en société. L’animal l’expose. Il nous parle de nous-même sur un mode subversif. Mettre en évidence les repères, les limites, les frontières brouillées qui permettent un regard plus acéré afin de rendre visibles les zones d’indiscernabilités entre l’homme et l’animal, et par la perte, parler de son identité.    

Intentions de mise en scène
L’Espace: l’appartement
J’aimerais partir de l’idée du chez soi, des quatre murs de Peter-le-rouge, de son chez lui, le lieu le plus intime, l’appartement et dans la transposition scénique à venir: la chambre.
C’est à la maison que l’être humain se sent en sécurité, abrité du bruit et des intempéries, afin d’éviter les arrivées abruptes. Il ferme la porte, parfois à clé, il ferme les volets ou, au gré de son humeur, les laisse volontairement ouverts afin de laisser entrer la lumière du jour et de jouer avec le paradigme contradictoire de l’ouverture lumineuse sur le monde et de l’enfermement volontaire pour avoir la paix.
L’homme habite dans une chambre d’hôtel ou chez quelqu’un, dans un appartement ou dans une maison. Issu des cavernes encore informes, il a commencé à construire sa maison dès les temps les plus anciens et parfois créé des monuments nous surprenant encore aujourd’hui par leur majesté: les pyramides en Egypte, les temples des Aztèques et des Mayas, les gratte-ciel des grandes villes pour n’en citer que quelques-uns.
Le lieu de Peter-le-rouge, son chez lui, sera constitué de la façon la plus simple qui puisse être. Quatre murs, chacun de la même taille, forment un cube dont le mur frontal et celui du fond n’existent pas. L’habitacle le plus simple qui puisse être, quatre murs identiques, inspiré à la fois des maisons préconstruites et des dimensions de base des bâtiments fameux. Cela suffit à Peter pour s’installer parmi les humains.
Toutefois, cette simple chambre rappellera toujours à un deuxième niveau la première cage à barreaux, la prison encore inhumaine de Peter. Espace duquel il a réussi à sortir en se mettant à parler sans savoir ce qu’il disait ni se faire comprendre par les humains qui le regardaient les imiter. Pour déjouer la métaphore de l’enfermement, Peter entrera et sortira de sa chambre comme il lui plaît, avec la seule et unique contrainte qu’elle ne se trouve pas à ras-le-sol mais qu’elle est suspendue à une hauteur d’ailleurs dérisoire, toutefois suffisamment grande pour que l’effort de descendre et de monter soit perceptible pour les spectateurs et cela malgré l’agilité corporelle de Peter qui dépasse celle de la plupart des spectateurs.
Sur sa surface modeste, l’habitacle réunira tout ce qui est nécessaire à Peter. Il y dormira, y mangera, y fera sa toilette, s’habillera. Il rédigera le Rapport à une Académie, s'entraînera à sa lecture publique de manières toutes très différentes en essayant de trouver celle qui le convainc le plus. Et il travaillera surtout - pour dénoncer un peu la trahison humaine - celle qui sera la plus susceptible de plaire à ces messieurs de l’Académie.

Le dédoublement: Peter et Petra
Peter a son pendant féminin, Petra. Ce dédoublement est un choix scénique qui me permettra de mettre en scène un dialogue des sexes et leurs modes de pensées et d’actions respectives. L’éventail des actions ne se multipliera pas seulement, il s’amplifiera davantage dans un catalogue contradictoire des gestes humains et la probabilité d’indentification de la spectatrice et du spectateur avec Petra et Peter sera plus grande. L’investigation des habitudes, des tics, des manières de procéder ou de fonctionner emportera le spectateur avec Petra ou Peter dans son propre monde, sa propre intimité, celle qu’il cache habituellement, parfois même à son conjoint ou sa conjointe, à son époux ou son épouse.
Petra et Peter habiteront, chacun dans sa chambre ouverte aux regards du public qu’ils ignorent, une petite maison sans mur frontal qui les abrite et sans mur du fond qui les protège, l’un à côté de l’autre. Ils ignorent l’existence de l’autre si proche et saisissable, et ne se doutent pas de la proximité et de la possibilité d’une rencontre. Ils ne se parleront pas, n’échangeront pas de nouvelles sur le temps, en tous les cas pas directement, ils ne vivront donc pas un voisinage heureux. Peut-être ils se téléphoneront, mais il m’importe de les garder l’un et l’autre séparés par un élément suffisamment clair, les murs, et paradoxalement par une distance tout à fait surmontable s’ils se découvraient. Cette séparation proche les protège d'un côté dans leur intimité et d'un autre coté, ce dispositif les expose a ceux qui habituellement cachent leur propre intimité: les spectateurs.
En dehors de leur monde de connaissance et de conscience, un dialogue se mettra en place, tissera un filet de ressemblances ou de bizarreries, d’oppositions et de contradictions entre le mode féminin et masculin de la vie dans la chambre, et parfois, des simultanéités hallucinantes auront lieu, inconcevables pour eux, car ils ne se voient pas. Et, par analogie, bien que les spectateurs voient le contraire, inconcevables pour nous qui ne voyons jamais ce que les autres font chez eux.
Il s’agit de créer une naturalité pour Petra et Peter, l’état le plus animal de l’être humain, l’état sans gêne, celui de se sentir bien dans son corps et de ne pas éprouver de honte. Tel que l'on pourrait imaginer Adam et Eve vivant au paradis avant la consommation de la pomme interdite, acte qui leur vola leur innocence et leur fit non seulement ressentir le pêché commis, mais dévoila leur état vulnérable dans et par la nudité. Le manque de gêne de Petra et Peter dans la nudité du début et le regard sur l’intimité, habituellement volontairement cachée par les hommes afin de garder leurs secrets et leurs recoins, nous permettront de voir minutieusement l’état animal de l’être humain. Ensuite, par le fait d'assister aux procédures de préparation ritualisées avant de sortir de chez eux, nous montrerons à quel point ils sont devenus humains. Petra et Peter seront d’abord seuls chez eux, tranquilles (joueront le quatrième mur comme s’il était présent), mais au fur et à mesure de la préparation, l’inquiétude d’un regard probable jeté sur eux les gagnera et les rendra de plus en plus nerveux et inquiets. Alors qu’au début, il leur est agréable d’être nus chez eux, sans protection vestimentaire et sans sentiment de gêne, ils éprouveront avec le temps qui s’écoule le danger et la nécessité de se protéger de regards trop curieux et d'infractions possibles dans leur univers intime.

Les objets
Petra et Peter seront entourés d’objets dont ils ont besoin pour vivre. « L’objet, selon Maurice Blanchot, est pour l’homme comme une sorte de chien insensible qui reçoit les caresses et les rend à sa manière, où plutôt les renvoie comme un miroir fidèle non aux images réelles, mais aux images désirées. » L’homme détourne l’objet et lui attribue différents sens afin de lui accorder une valeur fonctionnelle ou décorative, rassurante ou l’aidant à s’organiser au jour le jour.
De cette façon, l’objet a suivi au cours de l’histoire récente le développement de l’obsession ménagère traditionnelle où chaque chose devait être à sa place et représentait un ordre moral rassurant, qui aboutit aujourd’hui à un ordre plutôt fonctionnel par un considérable manque de place, surtout dans les habitations citadines.
La tendance mobilière actuelle cherche à être capable de tout faire, comme le propose par exemple le slogan dans le catalogue d’Ikea: un salon, une chambre à coucher et une chambre de travail peuvent être organisés et aménagés sur une petite surface de vingt mètres carrés afin de ne pas manquer d’un des privilèges de l’habitation.
Pour les avoir, l’être humain résout ses problèmes d’espace en mobilisant et en enchevêtrant des meubles de différents types de fonctions sans pour autant rechercher une atmosphère ou une ambiance, contraint à toujours adapter son intérieur pour pouvoir être au bon moment dans la chambre à coucher et au bon moment dans le salon. Ce qui manque souvent à l’homme moderne moyen, c’est le confort de l’espace qui coûte plus cher que les meubles et les aménagements bons marchés accessibles à un vaste public.
Petra et Peter ne sont pas une exception. Ils vivent dans une chambre multifonctionnelle où ils font tout. Le lit y est pour dormir, mais représente aussi l’endroit où la sexualité est vécue, le lieu où ils s’assoient pour manger, pour se couper les ongles ou pour se reposer tout simplement. Il représente autant le sofa de lecture que le lit du sommeil nocturne. Il y aura peut-être une chaise, un bureau où ils pourraient manger ou écrire, lire, se curer les ongles ou les laquer – ceci serait plutôt pour Petra -, un miroir, un robinet avec un bassin de réception leur sert de salle de bain et de coin pour la toilette intime personnelle. Ils s’y laveront, se nettoieront, s’y raseront – ceci pour Peter – ou s’y maquilleront – ceci pour Petra. Des vivres seront entreposés quelque part, mangés de temps en temps. Quelques objets les accompagnent pour leurs soins quotidiens: une brosse à dent, le dentifrice, du savon, un verre, une assiette, un couvert complet, un rasoir et un peigne pour Peter, une trousse de maquillage et une brosse pour Petra. Quelques pièces de vêtements se trouveront dans leur chambre respective, des habits personnels et des habits de société, et également les outils pour les entretenir, une brosse à vêtements et des outils de cirage de chaussures. Quelques livres traînent, signes de leur éducation culturelle, et une bougie est entreposée dans un coin. Les deux possèdent quelques bijoux et l’un et l’autre auront quelques images suspendues qui parleront de leur vie perdue ou de leur vie humaine presque entièrement conquise.
Ainsi, Petra et Peter nous offriront la vue sur leur vie et leur intimité dans ces deux chambres avec les quelques objets qui constituent le monde entier pour eux. Objets qui ne sont que des objets dérisoires pour qui les trouverait rangés dans un carton entreposé dans la rue pour le ramassage des objets encombrants.

Les gestes
De la même façon que les objets, les gestes servent à l’organisation du monde intérieur de l’être humain et aux soins de son corps. Alors que ces fonctions sont également observables chez les animaux, ils servent chez ces derniers à créer un nid pour l’arrivée des petits tandis que chez les êtres humains ces gestes peuvent avoir une fonction uniquement décorative, ludique ou être exécutés pour se procurer du plaisir. Par analogie, je renvoie à la sexualité qui chez les animaux sert - à part quelques exceptions - comme but ultime à la procréation et la survie de la race, et chez l’homme, elle garde naturellement cette fonction de base, mais contient par ailleurs la notion du plaisir de laquelle naît la recherche de la répétition.
Par les gestes d’aménagement, de rangement, de nettoyage, de nutrition, de soins corporels, de masturbation, d’habillage, de maquillage et de préparation pour sortir, nous construisons les personnages de Petra et Peter vivant dans le monde humain qu’ils ont depuis longtemps acquis. Rien dans leur gestuelle, à part peut-être quelques tics, ne trahit la vie de singe d’antan. De même, rien à part quelques cicatrices sur leur corps ne trahit leur ancien corps de singe: ils sont le produit de traitements corporels poussés afin de nous permettre un petit clin d’œil à la chirurgie esthétique ou à la chirurgie tout court qui permet même de changer de sexe aux personnes qui le désirent pour des motifs qui resteront les leurs.
Si quelque chose trahissait leur origine différente, ce serait le soin extrême pour leur nouveau corps, visible par exemple chez ceux qui craignent de vieillir et recourent à tous les moyens possibles afin d’éviter les signes de l’âge qui prédisent et matérialisent la mort à venir.
Cette exagération dans l’exécution des gestes, le soin méticuleux d’être humain et de se comporter scolairement comme un être humain bien éduqué, cultivé et intelligent, nous permet de montrer la part d’éducation qui est de trop et crée de Petra et de Peter deux êtres humains schématiques et ironiquement parfaits. Mais avec l’acquisition du contrôle et de la réflexion de l’être humain, l’angoisse les gagne, la volonté de contrôle surgit. Elle les pousse à des comportements très répandus et redoutés. Les dérapages de l’inconscient se manifestent dans le fait que leurs gestes sont trop contrôlés ou dans des réflexes bizarrement exécutés dans le vide pour faire rapidement sortir une pression intérieure ou libérer la tension d’un corps qui risque d’exploser ou d’imploser autrement.
L’issue choisie de devenir homme montre – car le texte ne donne pas une vision négative complémentaire par le fait que le langage est hautement maîtrisé et censé gagner l’audience au plus vite – dans la gestuelle et la chorégraphie des gestes qui nous semblent à priori les plus banals, l’autre facette, la face cachée. L’envers de la médaille comme les proverbes le disent, celle que Kafka incite, mais qu’il ne nous montre pas: la tristesse cachée de saisir l’instant et l’impossibilité de se rendre compte d’un bonheur jadis possédé et maintenant à toujours perdu.
Par ailleurs, les gestes et les mouvements dans l’habitation privée partent de rituels simples, reconnaissables et se développent dans une exagération de parure pour sortir dans le monde. Les couches de maquillage, l’hésitation prolongée de mettre telle robe ou telle autre, de nouer la cravate tant de fois jusqu’à ce que le nœud soit parfait. Mais contrairement aux exigences que Peter a envers lui-même, il réussit de moins en moins et perd contenance, se fâche, s’impatiente, se moque de lui-même et de tous ceux qui se soumettent aux codes sociaux et vestimentaires. Par analogie, Petra se maquillera de plus en plus jusqu’au point où l’embellissement tourne forcément de la beauté à la laideur kitsch et criarde de ceux qui ont perdu le sens de la simplicité.

Le rapport
Le texte de Kafka est le fil rouge. Tout commence avec la mission de devoir écrire ce rapport. Dans notre version scénique, Petra et Peter feront le rapport sur le moment, et dès qu’un bout de texte existe, ils le répéteront de la manière qu’ils croient convaincante pour le public de l’Académie. Le trait intéressant est que la répétition du texte, la préparation à la confrontation avec un public, la conscience de la formulation est une action qui se passera simultanément à la préparation corporelle décrite dans le chapitre sur les gestes.
Alors que le texte de Kafka est formellement un produit de la conscience humaine la plus vigilante et réveillée, le corps humain nu, fragile et vulnérable, est l’envers de cette conscience et la présence d’esprit du texte qui semble tout savoir du singe faillit uniquement à un seul endroit: l’état de singe appartient à un passé et à un état sans langage. Il est donc à jamais perdu pour la conscience humaine de Petra et de Peter. Contrairement à la volonté de faire resurgir ce manque, il m’importe de parler du singe par la présence prédominante de l’être humain chez Petra et Peter.
Au début, ce sont des petits animaux humains, puis ils développeront une carapace humaine grandissante au fil du rapport et des essais autour de la diction, de la présentation et de la manière de discourir. Entre les moments intimes et personnels – nous verrons Petra et Peter faire les actions qui nous semblent les plus anodines comme se lever, se raser, s’épiler, faire des exercices de musculation ou des massages de beauté, se curer les ongles ou se les laquer, se masturber, dormir, manger, lire, téléphoner, se regarder dans le miroir, s’habiller, lire. Surgissent de plus en plus de moments civilisés, d’attitudes sociales qui les éloignent de leur sentiment corporel personnel et leur font perdre ce qui leur est le plus cher, eux-mêmes. Ils agiront de plus en plus comme des petits automates d’êtres humains absolument merveilleusement réglés, ne faisant peur à personne et étant toujours dans un comportement techniquement absolument juste, mais s’effrayant eux-mêmes de ce nouveau conditionnement. Dans cette rigidité grandissante auront lieu des actions de destruction et d’abolition de ce qu’ils viennent de construire péniblement. Nous finirons avec eux, chacun à sa manière, à la fin de cette procédure d’embellissement dans un état de la farce humaine tel que le représentent pour moi certains personnages dans les films de Tati, organisés, prévoyants et stériles où l’on se demande où est resté l’être humain qui respire et transpire.
Le grand art langagier du rapport les amène à un désespoir humain, celui de manquer à la vie par la volonté de la dominer, de la régler, de la prévoir et de la doser. Petra et Peter se poseront la question du prix qu’ils auront payé pour l’issue de la cage qu’ils ont choisie, et le spectateur se la posera avec eux par le fait qu’il est toujours contraint à agir en respectant un certain nombre de lois et de morales aux Line dépens de ses impulsions et de ses émotions.

La répétition
Au lieu de représenter le discours à l’Académie, je choisis de montrer la préparation à la présentation de ce discours.
Le lieu, c’est la sphère privée qui se frotte de plus en plus à la sphère sociale qui prend de plus en plus de poids, même à la maison. Ainsi j’ai la possibilité de souligner un être naturel sous la mascarade sociale qui lutte contre l’exigence des codes aussi bien que je peux simultanément montrer la joie du singe devenu un être humain parfait, sollicité, désiré et admiré par les autres. Avant la sortie sur la scène du monde, je peux enfin montrer la tristesse et la brisure à l’intérieur du personnage humain construit et montrer que Petra et Peter ont une vie intérieure qu’ils cachent soigneusement et qui ne transparaît pas du tout sous leur masque social. Ainsi, il y aura des moments de décomposition et de doutes, des impuissances et des pleurs, des accès d’angoisses et des trous d’existence qui leur font peur. Dans les deux modes très contradictoires ou – pour quelqu’un qui y verrait un côté positif – complémentaires, surgiront, je l’espère, des moments de la vérité de l’être qui incite à la modestie face à la vie et à la jouissance du moment présent, aussi banal qu’il soi. L’identité perdue surgit enfin par la négative, aux endroits que Petra et Peter essaient de cacher, et ils la vivront peut-être dès le jour où ils partageront le souvenir de leur perte.
La représentation et la répétition sur un mode féminin et sur un mode masculin tisseront entre les deux protagonistes qui s’ignorent un dialogue que le spectateur perçoit et transposeront les questionnements personnels de chacun: ils se répondent en s’ignorant, se cherchent en se trouvant, sans le savoir.  

Scénographie 
Deux cubes, ouverts devant et derrière, suspendus à un mètre du sol environ. Grandeur: deux sur deux sur deux mètres. Suspendus à un mètre de distance l’un de l’autre. Murs lisses. Mobilier simple. Objets. La chambre de Peter à gauche. Et celle de Petra à droite. Ils y sont durant tout le spectacle, et jouent simultanément tout le parcours.  

Musique 
Un musicien. Sur scène. Placé derrière les cubes suspendus, à l’arrière de la scène, avec ses instruments. Il accompagnera Petra et Peter dans leurs émotions qui surgissent par à coups. Violemment. Brisures inattendues. Puis, le silence. Sons produits par des objets, étranges, surprenants. Univers tiraillé d’un intérieur soumis à des tensions horribles et joyeuses, parfois se conjuguant si vite que cela fait mal. Musique qui sort du ventre et la partition du musicien est: dire ce que les personnages taisent. Etre la voix du secret. De l’envie réprimée. De la nature. De la liberté. De l’innocence. Libérer les émotions chez les spectateurs que Petra et Peter retiennent, gardent et cachent à eux-mêmes.  

Maquillage
Au début la nudité. Puis le lavage du corps. Les soins du corps. Un maquillage sur scène. Parure. Exagérée. Dégoûtante. Dégoulinante. 

Costumes
 Nudité. Peignoirs. Sous-vêtements. Robes. Costumes. Manteaux. Bijoux. Gants. Un éventail de vêtements de sortie qui cachent la peau, toute la peau. Il n’y a pas une référence à une époque bien connotée. Cela se passe maintenant. Aujourd’hui. Partout. 

using allyou.net