Rapport à une Académie
de Franz Kafka
Traduction de l'allemand Bernard Lortholary
Mise en scène Denise Carla Haas
Comédiens Yves Jenny, Valérie Liengme
Création musicale et musicien sur scène Mathias Demoulin
Création lumière Hans Meier
Costumes Tania D'Ambrogio
Scénographie Adrien Moretti et Denise Carla Haas
Construction du décor Mario Medana
Peinture Christophe Demière et Emilie Rudaz
Regie et technique Luc Job
Collaboration dramaturgique Elias Schafroth
Collaboration artistique Corinne Martin
Stagiaire Marina Porobic
Administration et communication Line Lanthemann
Conception graphique et programme « a plus trois » éditions (Jonas Marguet, Corinne Martin & Elias Schafroth)
Photo Maurice Haas
Production Le Théâtre L., le Théâtre du Pommier et Pour-cent culturel Migros
PRAIRIE Modèle de coproduction du Pour-cent culturel Migros en faveur de compagnies théâtrales innovantes suisses
Du 01.04.2008 au 20.04.2008 aux Pulloff Théâtres, Lausanne
Du 08.05.2008 au 10.05.2008 au Théâtre du Pommier, Neuchâtel
Du 23.052008 au 25.05.2008 au Théâtre du Moulin-Neuf, Aigle
Du 30.05.2008 au 31.05.2008 au Petithéâtre, Sion
Evénements
Un bestiaire littéraire, Lecture et performance par Le Théâtre L. dans le cadre de l'exposition Comme des bêtes. Ours, chat, cochon et Cie au Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne
Les 24.04.2008 et 22.06.2008 à 15 heures, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, durée 45 minutes, entrée gratuite, www.mcba.ch
Les animaux de Kafka, Table ronde avec Bernard Fibicher, directeur du Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, Peter Utz, professeur de littérature allemande à l'Université de Lausanne et Le Théâtre L.
Le 12.04.2008, après la représentation, Pulloff Théâtres, Lausanne, entrée gratuite, apéritif offert
Avec le soutien de
La Loterie Romande, Lausanne
Pour-cent culturel Migros
Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture
Ville de Lausanne
Ernst Göhner Stiftung Zug
Schweizerische Interpreten Gesellschaft
Presse
24 heures Région La Côte, 02.05.2008
Quand le nu prend la parole
CORINNE JAQUIÉRY
THÉÂTRE - Le plus vieux costume du monde s'est beaucoup porté dans plusieurs créations théâtrales
récentes. A Genève, la tragédie de Phèdre, qui se joue entièrement dénudée, en est l'ultime manifestation.
Provocation ou nécessité, la question peut se poser.
Bl afards, dans la lumière du jour finissant, les corps nus des cinq comédiens engagés dans cette
représentation de Phèdre se dévoilent crûment: rougeurs, plissements, taches bleutées, aucun défaut de
peau ne peut échapper à l'oeil du spectateur. Voyeur obligé, il est invité à tourner autour de la scène érigée
comme un ring au milieu de la salle. Parfois, un acteur en descend, se mêle au public. Cette promiscuité
avec la nudité suscite diverses réactions: les uns reculent, les autres observent sans bouger, certains
avancent...
Sollicité auditivement par le flux éructé des alexandrins de Racine et par le bruit des fortes claques que se
donnent les interprètes, le spectateur est bousculé, perturbé dans sa relation à la représentation théâtrale.
En montrant ce qui se dit, les corps des acteurs participent à donner une nouvelle dimension au texte
classique, creusant des failles dans la métrique impeccable des alexandrins. Les comédiens d'âge mûr
récitent nus comme pour montrer que les mots, à force d'extraction, ont usé les corps.
«Le corps est le point de départ de la production textuelle de Phèdre», souligne Claudia Bosse, metteuse
en scène d'origine allemande. Qualifiée de radicale par ceux-là mêmes qui l'accueillent régulièrement au
Théâtre du Grütli à Genève, elle est coutumière d'expériences originales en rupture avec le théâtre
traditionnel. «Le corps m'apparaît ici comme le lieu d'émergence de la tragédie, comme le vecteur de la
parole dramatique ramenée à la lumière. La passion, contrainte par les conventions sociales liées à la
toute-puissance d'un Etat ou d'un roi - en l'occurrence Louis XIV -, ne peut plus se cacher sous l'habit. »
Un autre espace de perception
La nudité du spectacle de Phèdre n'est pas choquante, même si elle semble un peu provocante quand
elle détourne les conventions. Ainsi Phèdre est jouée par un homme, Frédéric Leidgens, qui prend des
poses effarouchées en cachant son sexe. En jouant nus, les acteurs proposent une ouverture vers un autre
espace de perception et confèrent aux corps vieillis une émouvante dignité. «Le nu est mon costume,
affirme Armand Deladoëy, 60 ans, qui interprète Thésée. C'est une nécessité de la dramaturgie, un outil de
mise à nu qui pousse à l'authenticité. Je n'ai aucun problème avec ça. Je crois que chacun y pose son
propre regard avec tout ce qui le constitue culturellement. »
En montant récemment Hiroshima mon amour, de Marguerite Duras, au Théâtre 2. 21 de Lausanne,
Giorgio Brasey a lui aussi mis en scène des comédiens dénudés, mais il se défend de suivre l'air du temps.
«Je n'ai pas éprouvé le besoin du nu. C'était la situation, inspirée du texte, qui l'impliquait. » Les deux
acteurs (Cathy Sottas, Xavier Fernandez-Cavada) apparaissent nus à l'issue d'une nuit d'amour, lovés dans
une sorte alcôve virtuelle. «En cours de travail, cette nudité a pris un sens insoupçonné, mettant en
évidence la fragilité des corps et la beauté de la relation amoureuse. Ce n'est pas une nudité qui se montre,
c'est une nudité qui est montrée. »
Libérer le regard
André Coutin, auteur d'Histoire d'Ô Calcutta, le roman des années nues (Ed. Balland, 1970), affirmait
que, «dans notre société, le corps humain peut être métaphore politique ou argument de vente, mais il n'a
pas le droit d'avoir son langage propre et d'être lui-même un moyen d'expression». Aujourd'hui cependant, la
perception a changé et le corps peut se définir comme sa propre voix, notamment dans le domaine de la
danse.
Courants dans le théâtre primitif antique, les spectacles où les acteurs étaient nus ont été interdits par
l'empereur chrétien Justinien en 500 ap. J. -C. Après de longues années de tabou, les années septante ont
libéré le regard. Les comédiens peuvent jouer nus sans être voués aux enfers. En revanche, il y a différents
types de nudité à ne pas confondre: le nu anatomique, le nu érotique, le nu obscène, le nu tendre, le nu
violent, etc. Et au théâtre, comme dans la danse, la nudité est un matériau dont la mise en scène fait varier
les utilisations et le sens.
Cie Linga: une danse qui se dévoile
Le corps est à la danse ce que le texte est au théâtre. Sa mise à nu était donc inévitable. Après s'être
débarrassée des tutus et autres fanfreluches, la chorégraphie contemporaine a ôté son dernier rempart: le
justaucorps. A la fin des années nonante, le nu a ainsi envahi la danse au point d'en faire perdre le sens.
Sous-érotisé par rapport à ceux libérés des années huitante, les corps se prêtaient davantage à la dissection
anatomique qu'à être des vecteurs d'émotion.
Retour à la densité
Aujourd'hui, la tendance ne s'est pas radicalement inversée, mais l'apparition de la nudité dans une
chorégraphie a repris une certaine densité et de la profondeur. Pour Katarzyna Gdaniec, de la Compagnie
Linga, installée à Pully, le nu n'est utile que lorsqu'il est l'aboutissement d'une longue démarche de création.
«Je ne danserais pas ainsi sans raison. D'ailleurs, on peut être nu uniquement par le mouvement et par la
puissance de l'interprétation. » Mais, dans son duo Mucus and Angel s créé avec la Coréenne Eun-me Ahn
et Marco Cantalupo, son compagnon de vie et de création, elle se dévoile presque entièrement. «Nous
l'avons fait parce qu'il s'agissait de parler de la femme dans tous ses états, de la jeune fille à la mère.
Comme le sang que nous faisons couler sur le corps, les seins sont une part essentielle de la féminité. Je
trouvais que c'était beau et émouvant de les dénuder à un moment charnière de la pièce. »
C. J.
Valérie Liengme: «Le nu impose la sincérité»
La comédienne Valérie Liengme aime le risque théâtral. Mise en scène par Denise Carla Haas dans une
adaptation de Rapport à une académie de Kafka, elle se retrouve en cage et nue. «C'est tellement cohérent
par rapport au travail entrepris sur ce texte», explique-t-elle. A l'inverse de sa célèbre Métamorphose , où un
homme se transforme en cafard, l'écrivain narre ici la transformation d'un singe en être humain. Deux
personnages, incarnés par Valérie Liengme et Yves Jenny, illustrent le processus en exposant leur intimité.
«C'est une nudité très naturelle, presque animale. D'ailleurs, le nu n'est pas ce qu'il y a de plus difficile à
porter. Ce qui est difficile, c'est de bien jouer! affirme, rieuse, Valérie Liengme. Quand on est à poil - c'est le
cas de le dire ici - il y a quelque chose de magique, de basique, qui inspire le jeu. » En se voyant sur les
affiches où elle pose nue, attablée en face de son partenaire, elle s'est à peine reconnue, à l'instar de son
père qui, en la voyant, n'a pas fait le lien avec sa fille.
Pour la metteuse en scène Denise Carla Haas, il n'y a aucune espèce de provocation dans le fait de
montrer des acteurs nus. «La nudité est toujours troublante, mais la manière naturelle et primitive dans
laquelle je l'ai envisagée montre qu'elle a du sens. De toute manière, ce qu'il y a de plus intéressant, c'est la
performance d'écoute des comédiens qui se passent le texte sans jamais savoir qui va le dire et à quel
moment!»
C. J.
24 heures 04.04.2008
L'humanité mise en cages
THEATRE
Denise Carla Haas présente, au Pulloff, une adaptation de Rapport à une académie, de Kafka, avec une belle et imposante créativité. Critique.
Belle scénographie entre cages et appartements. Photo: Maurice Haas
ANNE-SYLVIE SPRENGER
Plus qu'à une pièce de théâtre, c'est à une expérience que la metteur en scène Denise Carla Haas invite les spectateurs du Pulloff. Sur l'affiche, il s'agit de l'adaptation du texte de Franz Kafka, Rapport à une académie. Sur scène, il est surtout question, pour le spectateur, d'observation. Tel un visiteur dans un zoo assez particulier...
Denise Carla Haas met en effet ses comédiens (Yves Jenny et Valérie Liengme) littéralement en cages. Dans une très belle scénographie bifrontale, deux cubes ouverts campent le décor. Dans chacun de ces espaces agencés comme un mini-appartement, un des comédiens, qui vit sa vie (domestique, pour l'essentiel) comme si de rien n'était. Elle s'épile, il se rase. Il s'habille, elle se douche... Le spectateur peut dès lors se mouvoir comme il l'entend autour de ces deux cages sans barreaux, et observer le comportement de ces drôles d'humains.
On imagine le rire et l'enthousiasme de Kafka s'il avait été présent ce soir de première, tant la sensation est étrange. Et éclaire d'une belle inventivité ce texte de l'auteur tchèque, qui se présente comme le pendant thématique de sa célèbre Métamorphose, à savoir ici la transformation d'un singe en être humain.
Singe devenu humain
L'action se situe dans un deuxième temps, alors que ces deux singes-devenus-hommes se préparent à discourir devant l'académie au sujet de leur évolution. Ces moments intimes, comme arrachés à la sauvette, fascinent d'une étrange manière. Le texte, quant à lui, passe (à tort ou à raison) véritablement au second plan, tant la performance des comédiens est intéressante on regrette même de ne pas voir plus souvent la rutilante Valérie Liengme. A noter encore, les très beaux jeux sonores qui donnent densité et rondeur à l'ensemble. Après Liberté à Brême et Le Tueur, Denise Carla Haas démontre une imposante créativité. Une artiste à suivre, assurément.
Pulloff, Lausanne.Jusqu'au 20 avril. Durée: 1 h 10.Rés.: 021 311 44 22.
24 Heures © Edipresse Publications SA