pi R2 H ou le produit de 3,1415926..., du rayon élevé au carré et de la hauteur 

un projet de Denise Carla Haas et Corinne Martin

Jeu
Ariane Christen 
Vincent David 
Aline Delaunay 
Viviane Gay 
Muriel Imbach 
Laurence Iseli 
Mélodie Martenet 
Virginie Meisterhans 
Jeanne de Mont 
Vincent Serez 
Philippe Thonney 
Nicolas Wan Park 
Anja Zyska Cherix 


Mise en scène, scénographie et costumes Denise Carla Haas
Construction du décor Mario Medana
Lumière Christophe Kehrli
Musique Vincent Berberat
Dramaturgie Corinne Martin
Collaboration technique et assistanat lumière Jérôme Ingravallo
Régie lumière Pavel Babintsev 
Assistanat à la mise en scène Stefano Carrera et Muriel Imbach

Exposition de peintures Jean-Philippe Gérard
Graphisme Karen Itchers 
Photographies François Bovy, Neda Loncarevic, Patrick Pfeiffer 

Production Le Théâtre L. en coproduction avec Le Théâtre du Moulin-Neuf

Du 10.09.2003 au 21.09.2003, Théâtre du Moulin-Neuf, Aigle

Subventions
Les Fonds Intermittants
La
Fondation pour la promotion des Arts de l'Interprétation
La Loterie Romande



Presse
24 Heures Week-end 04.09.2003

piR2H au Théâtre du Moulin-Neuf à Aigle
Tout est dans le cylindre

Après la mise en scène de la solitude humaine selon Beckett ou Kafka, Denise Carla Haas devient elle-même dramaturge et se penche sur la vie de l’individu au cœur de la mass avec piR2H. Moins obscur que son titre ne le laisserait supposer, le nouveau projet du Théâtre L. et de la jeune metteure en scène lausannoise Denise Carla Haas s’annonce cependant un peu déconcertant. Inspirée par la formule du cylindre - piR2H ou le produit de 3, 1415926… du rayon élevé au carré et de la hauteur - elle a imaginé les ébauches de socialisation pouvant se développer à l’intérieur d’un tel espace. Constituant ainsi un vrai laboratoire en relations humaines. Ce gros boyau de tissu et de bois dans lequel vivent treize personnes est un nouveau terrain d’expérimentation dramatique. Installant le nombre limité de spectateurs face à une quarantaine de petites fenêtres plongeant dans la vie intime du goulot et parfois même dans le regard de l’observateur d’en face. En collaboration avec Corinne Martin, Denise Carla Haas réinvente le voyeurisme théâtral. « Chaque spectateur est assis l’un à coté de l’autre devant le cylindre. A certains moments, il peut apercevoir les autres regarder et il peut se sentir solidaire dans sa curiosité et son voyeurisme. En même temps, chacun voit autre chose et vit seul son propre spectacle. En fait, j’avais surtout envie de parler de la solitude à travers la masse. La solitude dans la vie en commun d’une société ou d’une famille. Poursuivant une réflexion sur l’humain et ses errances en solitaire, Denise Carla Haas questionne la nécessité et la volonté de vivre en communauté et la notion d’enfermement social, symbolisée par la vie dans le cylindre. Rythmé par le déroulement incessant du texte, l’univers de piR2H est également marqué par une gestuelle minutieusement réglée. « Nous avons beaucoup travaillé physiquement. Il s’agissait d’arriver à une sensibilisation du geste et du corps et de mettre à plat ce qui le raconte encore au-delà des mots. » Particulièrement attentive au fond, mais aussi à la forme, la metteure en scène, s’est laissée guider par l’espace offert par le Théâtre du Moulin-Neuf. « Le lieu est immense, encore encombré des machines du passé. En construisant une forme géométrique concrète dans ce désordre, un cylindre, c’est la frontière constituant le dehors et le dedans des interactions sociales qui s’est bâtie. Un lieu clos enfermant, mais aussi protégeant les gens. En fait, ce qui est essentiel dans mon travail de mise en scène, c’est d’essayer de trouver une harmonie entre la forme, et le fond. Le fond exige une forme et je la cherche jusqu’à ce qu’elle s’impose, comme c’est imposé le cylindre. »
Corinne Jaquiéry

La Presse Riviera Chablais, 12.09.2003
Création audacieuse, « piR2H » a lancé, hier, la saison du théâtre aiglon 

piR2H, un cylindre de solitude… Treize comédiennes et comédiens évoluent dans un théâtre du Moulin-Neuf comme vous ne l’avez encore jamais vu. A découvrir jusqu’au 21 septembre.

Littéralement pris par la main pour se rendre au dernier étage du bâtiment, le spectateur se voit installé sur un tabouret, face à une petite fenêtre laissant découvrir l’interieur d’un vaste cylindre de toile non tissée, dont le spectacle nous apprendra bientôt qu’il s’agit d’un film destiné aux travaux agricoles… A l’intérieur du cylindre - 28 m de pourtour et 5 m de haut -, une partie de l’ancienne machinerie du moulin, imposante, omniprésente, s’inscrit dans un univers blanc, au sol jonché de farine. Treize personnages y évoluent déjà : chacun des 42 spectateurs en voit et en entend certains. Les costumes, également blancs, évoquent, soit par de larges zones de peau nue, soit par leur adhérence aux courbes du corps, le désir charnel, refuge illusoire, et la vulnérabilité des personnages. Les habitants du cylindre s’agitent comme les machines d’une même chaîne de montage, tandis que la voix d’une forme de « Grand Frère », façon Orwell, semble s’adresser aux spectateurs. Les mêmes qui se contenteront bientôt d’être juste conscients de la présence des voix, plutôt que de s’évertuer à saisir chaque bribe de sens d’un discours dénué de substance, à la manière des poèmes futuristes du siècle dernier. A l’évidence, les personnages, bien que nombreux, souffrent de leur solitude ; ils profèrent des envolées désespérées. Mais ils ne suscitent chez le spectateur aucune compassion, d’autant que lui-même, derrière sa petite fenêtre, s’autorisant quelques regards par les fenêtres de ses voisins, dans l’espoir de trouver enfin un peu de sens d’émotion dans le cylindre, se rend compte que sa perplexité est peut-être reproduite 42 fois… sans qu’il puisse la partager : Ce constat la ramène à sa propre solitude. Seuls, au cœur des vociférations et des gestes inutiles, les grands yeux de la comédienne Mélodie Martenet cherchent une lueur d’humanité et témoignent de son existence… Choix pour le moins audacieux pour un début de saison, piR2H n’est pas à recommander au délassement, mais s’adresse à des spectateurs curieux, prêts à se plonger dans un méandre conceptuel, quitte à l’aborder plusieurs fois et sous plusieurs angles.
Sylvain De Marco 


Avant Propos
Je m’approche avec ce projet d’un univers clos. C’est un univers clos pour 12 acteurs et danseurs. Il se dessine en une forme géométrique connue, celle du cylindre. Notre travail va se baser sur une mathématique froide, un état de laboratoire, un essai de corps. Savoir quelles questions poser face à l’enfermement, est-ce une liberté ou une peine. Faire l’expérience de l’individu dans le groupe. Raconter la solitude au moyen de la masse. Raconter la mort avec la vie spécifique dans le cylindre. La solitude dans la vie commune d’une société ou d’une famille. Qui parle encore et qui se tait. Les corps dans le cylindre vont seuls. Mais ils sont ensemble. Cela peut être lu comme une bénédiction ou comme une malédiction, comme une liberté ou comme une contrainte. Au spectateur de juger.
Bien sûr, il y aurait la possibilité d’essayer de sortir. Bien sûr une sortie doit exister, mais qu’est-ce qui les attend au-delà du mur, au-delà de la frontière, au-delà du terrain connu. Ils ne le savent pas. C’est la raison pour laquelle tout le monde cherche à le savoir, mais qui des douze sera suffisamment audacieux de savoir vraiment, pour passer la frontière, pour aller de l’autre côté. Sauf erreur, personne. Rester dans la rêverie, dans l’espérance.
Raconter un univers qui réunit vie et mort, enfermement et liberté. Je vais travailler avec une équipe de jeunes comédiens qui représentent les personnes vivant dans le cylindre. Les douze comédiens et danseurs agissent dans un espace limité, clos et circonscrit par une forme géométrique, le cylindre. Nous voulons créer une atmosphère d’expérience pour le spectateur entre entendre, voir, sentir, écouter, et explorer l’espace théâtral d’un côté tout en voyant à l’intérieur les autres le faire aussi. Le concept est que chaque spectateur, assis l’un à côté de l’autre devant le cylindre, a une très petite fenêtre pour lui où il peut regarder dans le cylindre. A certains moments, il voit même les autres regarder en face et il peut se sentir solidaire dans sa curiosité et son ‘voyeurisme’. Il serait permis de changer de place entre les spectateurs pour voir ce que les autres voient, peut-être une personne se tiendra près des spectateurs pour leur indiquer et répéter cette possibilité.
Vu le lieu donné et le concept très personnalisé pour le spectateur, nous sommes contraints à réduire le nombre de spectateurs. Vu le grand nombre du personnel faisant partie de cette société dans le cylindre, il s’agit ici d’une grande production.

pi R2 H
Le projet est né du désir de parler de la solitude dans la masse. Ce projet va dans une toute autre direction que « Oh les Beaux Jours » qui était la tentative d’un discours personnel qui ne doit pas cesser. Ici nous racontons l’état de vie et les règles de vie d’une masse dans un espace déterminé. Un ‘Je’ ne se manifeste pas linguistiquement. 

C’est-à-dire, le ‘Je’ existe dans la masse et son propos est certes individuel mais coloré de la proposition de la masse l’entourant. Le ‘Je’ affronte ces limites dans un espace déterminé, avec ou contre la masse. Il y a un narrateur extérieur qui donne des informations sur ce lieu, sur ces gens et les règles d’après lesquelles ils vivent. C’est comme un oeil qui n’emploie aucune instance linguistique d’autoreprésentation, c’est-à-dire aucun pronom personnel et aucun nom propre. Le texte à l’extérieur est froid, une description physique à l’état pur. Les individus font partie de la vie dans le cylindre, et l’individualité doit être cachée dans les détails et dominé par la loi. 

Ce qui m’intéresse, c’est le rythme du spectacle, du texte et des corps. Il y a un défi à relever entre la recherche du rythme de la masse et celle du rythme des individus. A nouveau, la phrase de Bernard Dort fait sens : « Maintenir le théâtre au creux de ce qu’il a de plus matériel et de plus élémentaire, un espace, une voix, le corps. » 

 

L'Espace
Le lieu est un lieu déterminé. C’est l’intérieur d’un cylindre surbaissé ayant trente-cinq mètres de pourtour et cinq de haut. Un cylindre. C’est un lieu clos qui protège et enferme les gens. Donc, une double loi d’existence. Enfermement et protection. C’est un lieu qui obéit à des lois spécifiques. L’endroit est un lieu abstrait, aux lois de base de géométrie. Et toutefois il régit les corps y vivant.
Je dois dire, l’idée de faire ce projet me vient de l’inspiration d’un lieu précis. C’est le troisième étage du Théâtre du Moulin-Neuf, à Aigle. La salle fait vingt-cinq mètres de longueur et douze mètres de largeur. Là, il y a encore les machines du moulin d’une taille impressionnante. Il y a la possibilité de grimper dessus, de se reposer au dessus des machines, de se terrer dans quelque trou ou coin. 

En construisant une forme géométrique concrète dans ce désordre, un cylindre, le contour sera déterminé, la frontière constituant un dehors et un dedans bâtie. Le cylindre s’oppose à la loi de la salle vide où traînent ça et là des objets perdus ayant servi au moulin à l’époque. Construire un contour en structure de fer, des colonnes de bois allant du sol au plafond, et tendre une sorte de gaze, une toile transparente, sur toute la surface. Construire un cylindre, en partie, puisque le fond sera coupé par un bloc en bois d’une taille impressionnante ayant servi à l’époque de silo de farine. Avec la lumière on peut jouer sur la présence ou l’absence de cette frontière de tissu. On peut rapprocher ou éloigner la vie à l’intérieur du cylindre, l’affaiblir ou la rendre très présente. 

L’espace est séparé en espace de jeu, le cylindre, et en espace de lecture, qui se trouvera en dehors du cylindre, dans la salle. 

Installer une cloison entre scène et salle pour une séparation physique et une mise en face des deux parties qui constituera un dehors et un dedans. En outre, j’aimerais poursuivre une recherche dans la séparation des moyens théâtraux ; donc créer deux niveaux différents et à priori complètement séparés l’un de l’autre, de texte descriptif et de jeu. Le jeu a lieu dans le cylindre, la lecture de la description du lieu et de ce projet en dehors le cylindre. 

Les personnes du public se trouveront assis l’un à côté de l’autre, en face du cylindre, juste en face de la toile en gaze. Au mieux, ils seront contraints de sentir, voire de toucher le tissu pour mieux voir. Chaque spectateur aura une petite fenêtre par laquelle il voit à l’intérieur du cylindre. Ainsi, ils font une expérience personnelle de la vie dans le cylindre depuis l’extérieur. Pour l’équilibre, il est possible que le public soit surélevé par rapport au sol du cylindre. 

 

Le Corps
La vie de corps ne se souvient que de comment marcher, respirer, s’asseoir, devancer les autres, comment survivre ou pour survivre, taper les autres pour les affaiblir pour qu’ils soient hors concurrence. Montrer par la métaphore de l’existence et de la survie une image du capitalisme, la faiblesse du système, le combat dans le système clos en forme de cylindre dans lequel ces corps se trouvent enfermés. Montrer un univers indicible en mots, entre une profonde tristesse et une joie folle, montrant des personnes où l’on ne sait pas s’ils sont des agonisants de longue durée où s’ils se sont échappées d’un asile psychiatrique. La seule tentative est celle de la fuite. Frappe, sueur, laideur. Frapper l’autre pour aller plus loin. La générosité n’existe pas. Chacun est seul. Solitude. Il s’agit de la pure survie sans se tenir à des choses essentielles comme manger, boire, dormir. Image abstraite de la vie dans le cylindre. 

C’est une société sans nom. Se reposer semble possible, attente immobile mais attentive à tout. Géométrie de corps. Univers de rythmes. Chorégraphie de corps, de voix. Les pas sont aussi importants que les mots. Divergence entre tête et membres. Dans le cylindre, la vie se perpétue en pas. Parfois quelqu’un s’arrête. Il ne crie pas. Il ne bouge plus. Une fois, quelqu’un s’approche d’un affaissé, dégage les cheveux du visage, tourne le visage vers lui, regarde, regarde, et le laisse, s’en va. Un geste d’amour dans un univers d’agonie où l’agonie n’a pas de place. C’est un univers au delà des mots. Les mots sont à côté. A côté. 



Voix
Le texte dit le lieu. Le texte dit les lois de l’espace et des corps, de la lumière et des sons. Le texte est un tissu neutre autour duquel l’invention d’une vie de corps se fait dans le décalage. Différents types de lectures en dehors de l’espace de jeu, travailler le texte pour le gagner pour le faire entendre, et par la suite, pour le perdre. Comme s’il ne fallait pas arrêter les mots. Comme s’il fallait toujours un tissu de mots pour garantir la survie à l’intérieur du cylindre. Tentatives de dire, de murmurer, de crier, de hurler ce texte. Le texte est le rythme de cet univers, il est une sorte de loi qu’on n’écoute plus, mais qu’on entend. En somme, le texte est toujours là. Audible ou imperceptible. Il est toujours présent, même si quelqu’un le chuchote. Par là association à des haut-parleurs, à des lois oppressants d’une tyrannie cachée. Association à une liberté violée, à un enfermement castrateur et angoissant. Recherche du bonheur, de l’amour, de la sexualité dans un univers organisé. Où trouver un échappement. Comment en jouir. L’être humain où est-il ? Aller sur les traces des rêves. La musique est un univers de sons, assez abstrait à l’égal du texte. Travailler avec des bruits et les rythmer, les organiser pour qu’ils deviennent musique et également loi pour la vie dans le cylindre. Dans le cylindre chaque personnage aura également un parcours et une voix personnelle, se soumettant à celle de l’extérieur. Mais la voix individuelle existe et chacune de ses voix, il y en aura douze, racontera aussi son histoire, son parcours, prononcera ses mots qui lui permettent de vivre, de respirer, de rêver. Au spectateur de choisir qui et quoi écouter, qui ou quoi entendre. 

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