Ubu Roi
de Alfred Jarry
Jeu
Père Ubu Attilio Sandro Palese
Mère Ubu Charlotte Reymondin
Bordure Frédéric Ozier
Le Roi Venceslas, l'Empereur Alexis Ludovic Martin
La Reine Rosemonde, Cotice Julie Burnier
Boleslas, Giron Mélodie Martenet
Ladislas, Pile Muriel Imbach
Bougrelas Viviane Gay
Nicolas Rensky Stefano Carrera
Peuple, soldats, nobles Tous
Mise en scène et scénographie Denise Carla Haas
Finitions décor Frédérique Vidal
Costumes Elisabeth Attanasio
Création lumière Nicolas Mayoraz
Maquillage Nathalie Mouchnino
Musique Marco Trois
Dramaturgie Corinne Martin
Chef technique Luc-Etienne Gersbach
Assistanat à la mise en scène Muriel Imbach
Technique David Baumgartner
Photographies Patrick Pfeiffer
Production Le Théâtre L.
en coproduction avec Le Théâtre du Moulin-Neuf
Du 29.11.2004 au 10.10.2004, Théâtre du Moulin-Neuf, Aigle
Du 15.10.2004 au 16.10.2004, Théâtre du Dé, Evionnaz
Du 02.11.2004 au 14.11.2004, Théâtre 2.21, Lausanne
Du 07.04.2005 au 17.04.2005, Théâtre Les Salons, Genève
Subventions
Corodis
Interpreten Stiftung
La Loterie Romande, Genève
La Loterie Romande, Lausanne
Migros pour-cent culturel
Pro Helvetia fondation suisse pour la culture
Sophie & Karl Binding Stiftung
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Presse
24 Heures 30.09.2004
Rustre et buté, le père Ubu imaginé par Alfred Jarry décide un beau matin, sur le conseil de sa femme, d'aller conquérir le royaume. Une fois son coup d'Etat réussi, l'homme devient mégalomane, avide d'omnipotence, et massacre tous ceux qui pourraient l'empêcher d'accéder au pouvoir absolu.
En investissant cette œuvre déjà cent fois montée, le parti pris de Denise Carla Haas, une jeune metteuse en scène qui commence à se faire un nom en Suisse romande, est comme à son habitude d'aller voir de l'autre côté des choses, ou plutôt de changer de point de vue. Alors son père Ubu est sans masque, maigrichon et tout à fait ordinaire, bref, un être qui nous ressemble, enfantin et dénué du moindre artifice, mais désirant tout et tout de suite! Voilà qui change de l'image d'un Ubu rubicond et caricatural, où l'affirmation du grotesque passe inévitablement par le costume. "Pour moi, le langage se suffit à lui-même, il est très burlesque, même si le texte est riche et fulgurant et d'une vérité hallucinante. Chaque scène est une pièce pour elle-même. J'ai donc choisi de rester très contemporaine et simple dans le jeu", souligne la jeune femme qui espère un espace de réflexion en remontant ce classique.
Corinne Jaquiéry
La Presse Riviera Chablais 02.10.2004
Ce monstre qui sommeille en nous
La sempiternelle histoire du petit homme en quête de pouvoir, mais racontée autrement. Tel est le pari de Denise Carla Haas dans sa mise en scène. Rencontre en coulisse à Aigle.
- Denise Carla Haas, pourquoi avoir choisi de monter Ubu Roi?
- Personnellement, ce qui m'intéresse le plus c'est le thème du pouboir. Comment le gérer si on l'a, comment l'acquérir si on ne l'a pas. La pièce montre une sorte d'ascension jusqu'au 3e acte, jusqu'à la scène de la trappe. Ubu a obtenu le pouvoir par le meurtre de Venceslas, et il s'approprie le règne auquel il n'a pas droit. Puis, au moment où il a tout, il commence à éliminer tout le monde, parce que ça ne lui plaît pas. C'est ce côté arbitraire du pouvoir sur lequel je voulais m'interroger, et transmettre cette interrogation aux gens. Dans la deuxième partie du spectacle, Ubu perd son pouvoir, ce qui déclenche sa colère, et il rase le terrain autour de lui. C'est typiquement un tyran. Il y a dans la politique actuelle d'exemples auxquels on pourrait se référer, même si je n'avais pas envie de donner des connotations excactes... Ce qui me plaît, c'est d'avoir cette ligne de montée et puis de chute, et d'arriver à nouveau à l'état humain, qui n'est rien d'autre que notre corps.
-Pourquoi avoir choisi un père et une mère Ubu visuellement bien propres, aux antipodes des Ubus gras et repoussants dont on a l'habitude?
- Parce que je pense que le dégoût est généré par l'action, par l'acte. Dans la lecture que j'ai voulu faire, je voulais commencer par un couple avec lequel on s'identifie facilement. Un couple normal, simple, qui a ses soucis, ses petites disputes conjugales, et qui à un certain moment déclenche une agression, une violence à laquelle on ne s'attendait pas forcement. Je crois que cette lecture marche aussi. J'ai l'impression qu'en commençant par un personnage qui essaie de se tenir à des règles sociales, on rend la chute beaucoup plus forte.
- Dans votre spectacle, vous avez très souvent fait le choix de l'évocation, mais à quelques reprises, vous montrez la violence de manière très réaliste. Pourquoi? Pourquoi avoir rendu la torture de Bordure si concrète?
- D'un côté, il y aune machinerie qui aide à éliminer les gens, et de l'autre, Ubu prend du plaisir à agir personnellement et à finir quelqu'un. J'ai choisi de montrer poncutellement de quoi un être humain peut être capable lorsqu'il est emporté par le désir de tout posséder tout de suite: et qu'il n'a aucun respect pour un autre être humain. Il m'importait de ne pas omettre la souffrance que ça engendre.
Propos recueillis par Sylvain De Marco
24 Heures 05.11.2004
L'Ubu nouveau est arrivé
CRITIQUE
La troupe du Théâtre L. met en boîte au 2.21 Ubu roi d'Alfred Jarry.
Solidement installé dans les canons du théâtre français depuis plus d'un siècle, le personnage d'Ubu pèse de tout son poids dans la balance de l'imbécillité et du désir de pouvoir. On le sait obèse, avide, grotesque. Ubu roi, c'est une sorte de Macbeth absurde, un sousfifre minable influencé par la mère Ubu dans la réalisation sanguine de ses ambitions. On aurait tendance à dire qu'on le connaît bien, le père Ubu. Il a toujours été là, à nos côtés, sans vraiment se faire remarquer, miroir de nos pires facettes. C'est parce qu'il est comme nous, le père Ubu. Furieusement humain.
C'est cet aspect précisément que la mise en scène sobre et dépouillée de Denise Carla Haas met en lumière. Avec succès. Pourvue d'un désir de présenter l'histoire d'Ubu roi autrement, elle s'attache à déconstruire le mythe en rendant le personnage plus proche de nous encore. Ainsi, Ubu sort du cliché du gros burlesque, le ridicule résidant bien plus dans ses actes que dans sa personne.
Violence mise en boîte
Tout commence dans une boîte, un castelet de théâtre de Guignol. Bien vite, les marionnettes sont remplacées par les comédiens, qui vont petit à petit transgresser les limites de cet espace. Cette disposition très efficace donne au jeu dynamisme et rapidité, tout en liant intimement le public, rapprochant ainsi le spectateur du personnage d'Ubu en le confrontant franchement aux affres de sa conscience.
Convaincants et passionnés, les comédiens se lancent alors dans une performance très physique, vive, qui rend toute la violence de l'acte, toute l'intensité de l'enjeu. En ressort la faiblesse d'un personnage qui se laissera aller à la cruauté qu'inspire l'ivresse du pouvoir. Lieu commun de toutes les dictatures.
Humainement ridicule
Evidemment, serait-on tenté de dire, le grotesque sert toujours de toile de fond. Mais toute la force de cette mise en scène réside dans la maîtrise de cet aspect bien connu de l'œuvre pour lui injecter progressivement le réalisme de la violence, l'absurdité du pouvoir et l'horreur de la guerre. Un crescendo à l'image de la métamorphose du personnage d'Ubu. Bien plus qu'un aspect comique, le ridicule sert ici à mettre en scène efficacement les aspects inquiétants de la nature humaine, jusqu'à créer un certain malaise. Conscience et inconscience ne cessent de se croiser. Une pièce troublante de vérité.
Marc Demierre